Origine
Le Chamamé est une expression musicale traditionnelle profondément enracinée dans la région du Litoral argentin, notamment les provinces de Corrientes, Misiones, Chaco et une partie d’Entre Ríos. Il est né de la rencontre entre les traditions musicales indigènes guaranies, les apports des colons espagnols et les vagues d’immigration européennes, principalement allemandes, ukrainiennes et polonaises. Ce métissage unique a forgé une identité sonore singulière, pleine d’émotion et de rythmes entraînants.
Historique
Le Chamamé commence à se structurer au XIXe siècle dans les campagnes de Corrientes, où les traditions musicales locales sont nourries par les instruments européens, en particulier l’accordéon diatonique introduit par les immigrants allemands. À cette époque, les “bailantas” (bals populaires) sont les principaux lieux de diffusion du genre, souvent liés à des fêtes rurales, carnavals ou célébrations religieuses.
Dans les années 1940, Tránsito Cocomarola marque une révolution dans le Chamamé : il impose un style identifiable, le rend populaire à travers la radio et les enregistrements phonographiques. Son morceau emblématique “Kilómetro 11” devient un hymne national officieux du Litoral. Le Chamamé devient à la fois une musique de fête et de nostalgie, oscillant entre allégresse et mélancolie.
Au cours des décennies suivantes, des figures comme Ernesto Montiel, Isaco Abitbol, et Teresa Parodi renforcent la sophistication du genre, introduisant des innovations dans l’harmonie, la virtuosité instrumentale, et la portée poétique. Le Festival Nacional del Chamamé, organisé chaque année à Corrientes depuis les années 1980, devient une scène centrale pour la diffusion, la transmission et la réinvention du style.
Raúl Barboza, avec son jeu d’accordéon unique, a porté le Chamamé à l’international, notamment en France, où il a été salué par la critique comme l’un des plus grands accordéonistes vivants. Il a fusionné le Chamamé avec des influences du jazz, du classique et des musiques du monde.
Aujourd’hui, le Chamamé est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO depuis 2020. Il continue d’être joué dans les peñas, les écoles, les fêtes populaires, et a été revitalisé par les jeunes générations d’artistes. Il reste un trait culturel fondamental de l’identité du Litoral.
Hommage à Nini Flores
Nini Flores (Avelino “Nini” Flores, 1966–2016) fut l’un des musiciens les plus virtuoses et respectés de l’histoire du Chamamé. Né à Buenos Aires dans une famille correntina, il est le fils d’Avelino Flores, légende de l’accordéon chamamecero. Très jeune, Nini apprend à jouer l’accordéon à boutons avec son père, héritant d’un style rigoureux, expressif et enraciné dans la tradition. Aux côtés de son frère, le guitariste Rudi Flores, Nini forme un duo d’une rare complicité artistique. Ensemble, ils enregistrent plusieurs albums devenus références, tels que “Por la vuelta” ou “Canto y guitarra”. Leur travail se caractérise par une recherche de la pureté mélodique, une articulation précise et une interprétation profonde du sentiment “litoraleño”.
Nini Flores développe une carrière internationale. Installé plusieurs années à Paris, il se produit dans des festivals prestigieux en Europe (Printemps de Bourges, Festival de l’Imaginaire, etc.). Il collabore avec Juan Falú, Gerardo Núñez, Mercedes Sosa, et même avec des artistes du monde du jazz et de la musique contemporaine. Son style est reconnaissable entre tous : phrasé chantant, usage raffiné des chromatismes, alternance entre la fête et la saudade.
Il retourne en Argentine dans les années 2000, où il devient une figure tutélaire du Chamamé, jouant dans les plus grands théâtres du pays. Son concert au Teatro Colón en 2015 est considéré comme l’un des sommets artistiques du genre. Il y joue en duo avec Rudi, mais aussi en trio avec piano et contrebasse, montrant la profondeur musicale du Chamamé dans un cadre académique.
Il s’éteint brutalement en 2016, laissant un vide immense dans le monde de la musique populaire argentine. Son héritage perdure à travers ses enregistrements, ses élèves, et la reconnaissance unanime de ses pairs.
🎥 Vidéos en hommage à Nini Flores :
Nini y Rudi Flores – « La Calandria »
Nini y Rudi Flores
Nini Flores – TV Pública
Nini flores Concert au Teatro Colón 2015
Instruments
Les principaux instruments utilisés dans le Chamamé sont :
– Accordéon diatonique ou chromatique : roi du Chamamé, avec un jeu articulé, mélodique, et souvent improvisé.
– Guitare : rythmique et harmonique, parfois jouée en duo avec contrechant.
– Bombo criollo ou tambor de madera : percussion traditionnelle, peu utilisée mais présente dans certaines formations rurales.
– Violon : présent dans les variantes anciennes ou dans les arrangements plus orchestraux.
– Voix : élément central, la plupart des morceaux sont chantés, avec un timbre plaintif et expressif.
Structure musicale
Le Chamamé utilise généralement une métrique en 6/8 ou 3/4, avec une accentuation ternaire marquée par les basses de l’accordéon. Les harmonies suivent des structures simples (I–IV–V) enrichies de chromatismes ou modulations vers la relative mineure. Le phrasé mélodique est souvent asymétrique, inspiré de la respiration naturelle. L’introduction est généralement instrumentale, suivie de couplets chantés et de reprises instrumentales.
Danses
Le Chamamé se danse en couple fermé. Le pas de base est un glissement fluide, parfois appelé “arrastre”, avec une légère inclinaison du torse. Les couples évoluent en cercle, avec des tours (giros), des arrêts sur temps fort, et des “zapateos” discrets. La danse exprime le lien affectif, la retenue, et la connexion émotionnelle.
Exemples de danses
Exemples musicaux
“Kilómetro 11” – Tránsito Cocomarola
“Pindovy” – Raùl Barboza
“Noches Correntinas” – Cuarteto Santa Ana · Oscar Espíndola
Artistes
– Tránsito Cocomarola : fondateur du style moderne.
– Isaac Abitbol : reconnu comme un des « patriarche du chamamé », auteur du célèbre titre « La Calandria ».
– Emilio Chamorro : guitariste, un des pionnier du style chamamé structuré.
– Nini Flores : accordéoniste majeur, virtuose reconnu mondialement.
– Rudi Flores : guitariste et compositeur de premier plan.
– Raúl Barboza : ambassadeur du chamamé en Europe.
– Antonio Tarragó Ros : fils de Tarragó Ros père, compositeur prolifique.
– Teresa Parodi : voix féminine du chamamé militant.
Autres Artistes :
– Juancito Güenaga, Amandayé, Monchito Merlo, Ofelia Leiva, Mario Bofill.