Origine et histoire

Le terme « musette » vient d’un instrument à anche double utilisé dès le Moyen Âge : la musette de cour. Mais au XIXe siècle à Paris, il désigne surtout la cabrette auvergnate. Les bals musette apparaissent dans les quartiers populaires de Paris (Bastille, Belleville, Ménilmontant), impulsés par les Auvergnats, bientôt rejoints par les Italiens et les Manouches. La musique musette résulte de ce métissage : bourrées, valses italiennes, rythmes tsiganes.

1880–1910 : Le temps des bals auvergnats

À la fin du XIXe siècle, des milliers d’Auvergnats quittent leurs campagnes pour s’installer à Paris. Ils trouvent du travail comme porteurs d’eau, cafetiers, charbonniers ou concierges. Regroupés dans les quartiers populaires comme le 11e arrondissement, ils cherchent à recréer une atmosphère familière dans leur vie urbaine.

C’est ainsi qu’apparaissent les premiers bals musette, notamment dans les cafés-charbon. On y danse au son de la cabrette, petite cornemuse auvergnate soufflée au coude. Les danses sont les bourrées, scottishs, mazurkas, et autres formes issues du répertoire paysan.

> Le mot « musette » vient ici de l’instrument, et désigne à la fois le genre musical, le bal, et le style de jeu.

Ces bals sont d’abord réservés aux communautés auvergnates, avec une ambiance parfois rude. Mais progressivement, ces lieux s’ouvrent aux autres populations. Le mélange va créer l’identité du musette.

1910–1930 : L’irruption de l’accordéon italien

Dès les années 1910, une autre population immigrée transforme le paysage musical : les Italiens, nombreux dans la capitale, apportent un instrument plus maniable et expressif : l’accordéon.

L’accordéon diatonique puis rapidement chromatique remplace peu à peu la cabrette, car plus facile à jouer, avec un volume sonore plus fort. Ce changement va révolutionner le style.

C’est aussi à cette époque que naît la java, danse spécifiquement parisienne, issue de la valse mais avec un tempo plus lent, un style plus « collé-serré », presque canaille. Les bals deviennent mixtes, accueillant ouvriers, artisans, domestiques, et jeunes désœuvrés dans une atmosphère de flirt et de bière bon marché.

Les bals de faubourg (faubourg Saint-Antoine, rue de Lappe, etc.) deviennent des lieux de brassage social.

Anecdote : les danseurs professionnels ou « têtes de bal » y sont parfois rémunérés, et certaines rixes éclatent autour des meilleures danseuses ou pour défendre un style de danse particulier (comme le pas glissé de la java).

1930–1950 : L’âge d’or – Jazz, manouches et swing musette

Les années 1930 sont l’apogée du musette, avec l’arrivée de musiciens manouches et gitans comme Django Reinhardt, qui jouent dans les bals mais aussi dans les cabarets de Montmartre.

Django, alors adolescent, commence au banjo-guitare en accompagnant les accordéonistes dans les bals musette.

Ils introduisent un sens aigu du rythme, des improvisations virtuoses, des modes harmoniques nouveaux. Le musette devient swing musette.

C’est aussi l’époque de Gus Viseur, Tony Muréna, Jo Privat, qui fusionnent accordéon et jazz. Ils fréquentent les studios d’enregistrement, les grandes brasseries, et même les cabarets bourgeois.

Le musette devient alors un langage musical transversal, jouant dans les bals populaires, les bals de soldats, les tournées de province, les disques et les radios.

Anecdote : Jo Privat, qui joue au Balajo (rue de Lappe), développe un son unique influencé par les musiques tziganes. Il sera surnommé « le poète de la rue de Lappe ».

1936–1939 : Le musette des guinguettes et du Front populaire

L’année 1936 marque un tournant social et musical. Le Front populaire et les congés payés donnent pour la première fois aux ouvriers le droit aux vacances.

Les Parisiens se ruent dans les guinguettes de Nogent, Joinville, Champigny, Bry-sur-Marne. On y boit du vin blanc, on y mange des fritures, et on y danse le musette à ciel ouvert.

Le musette devient ici un symbole de liberté et de joie retrouvée. C’est une musique de plein air, d’été, de corps en mouvement.

Les orchestres sont composés de 2 à 5 musiciens, souvent mobiles, parfois montés sur péniches ou barques.

Les musiciens stars de l’époque comme Gus Viseur ou Tony Muréna participent activement à cette ambiance de fête.

Anecdote : Les bals sur l’eau (« bals-péniches ») sur la Marne faisaient souvent danser 200 à 300 personnes dans des ambiances surchauffées jusqu’à 2 heures du matin.

1950–1970 : Popularisation et déclin progressif

Après la guerre, le musette perd peu à peu de son caractère subversif et populaire. Il est absorbé par les médias. Des accordéonistes comme Yvette Horner ou André Verchuren deviennent des stars de la télévision, jouant dans des émissions comme « La Chance aux chansons » ou les tournées des bals du 14 juillet.

Le style devient plus propre, codifié, parfois sirupeux. Il s’adapte à la chanson réaliste (Fréhel, Piaf) ou au paso doble de fête de village.

Les bals de quartier disparaissent peu à peu, remplacés par les dancings modernes. Le musette est associé à une France vieillissante, provinciale, conservatrice.

1980–2000 : Redécouverte et projet Paris Musette

Dans les années 1980, certains musiciens de jazz et chercheurs musicaux redécouvrent le musette comme genre authentique, urbain, populaire et métissé.

C’est dans cet esprit que naît le projet Paris Musette, à l’initiative de Patrick Tandin, Franck Bergerot (Jazzman) et Didier Roussin (musicien ethnomusicologue).

Les volumes « Paris Musette » (1993, 1995, 2000) :
Ces albums réunissent des figures du musette classique (Marcel Azzola, Daniel Colin) et des musiciens contemporains (Régis Gizavo, Dominique Cravic, Christian Escoudé).

L’ambiance est acoustique, intimiste, respectueuse des racines. On y entend valse lente, java mélancolique, swing élégant.

Ces disques permettent une réhabilitation critique du musette, reconnu comme patrimoine musical français à part entière.

Instruments emblématiques

– Cabrette : cornemuse auvergnate des débuts
– Accordéon : diatonique puis chromatique, instrument-roi
– Banjo, guitare manouche : introduits par les Manouches
– Clarinette, violon : timbres populaires dans le swing musette
– Contrebasse, batterie : renforcent l’accompagnement rythmique

Structure musicale

– Cadences simples (I–IV–V), modulations fréquentes
– Introduction → thème A → thème B → reprise A
– Improvisations fréquentes dans le swing musette
– Ornementations à l’accordéon, phrasé expressif

Danse musette

– Valse musette : 3 temps rapide, pas glissés et rotation continue
– Java : 3 temps, plus collée, pieds au sol, style canaille
– Paso musette : binaire et plus cadencé
– Tango musette : influencé par le tango argentin, plus théâtral

Anecdote : Des « chahuteurs » étaient parfois engagés pour provoquer des bagarres dans les bals afin d’éliminer la concurrence des meilleurs danseurs !

Lieux emblématiques

– Rue de Lappe, Balajo : cœur historique du musette
– Belleville, Ménilmontant : quartiers ouvriers très musicaux
– Montmartre : haut lieu artistique et musical
– Bords de Marne : guinguettes à Joinville, Nogent, Bry

Artistes majeurs

Charles Péguri (1879–1930)
Précurseur du musette, innovateur technique, il participe à la diffusion de l’accordéon à Paris.

Émile Vacher (1883–1969)
« Père du musette », créateur de la valse musette. Jeu clair, rapide, influent dès 1900.

Martin Cayla
Musicien, éditeur, diffuseur du musette dès les années 1920, il structure le marché du genre.

Joseph Colombo
Accordéoniste franco-italien, styliste raffiné, connu pour ses tangos et valses musette.

Gus Viseur (1915–1974)
Virtuose du swing musette, collabore avec Django Reinhardt. Compositeur de « Flambée Montalbanaise ».

Tony Muréna (1917–1970)
Spécialiste du tango musette. Élégant et technique, il joue dans les plus grandes salles.

Jo Privat
Accordéoniste emblématique du Balajo, influencé par le jazz manouche et les musiques celtiques.

Yvette Horner, André Verchuren
Figures populaires dès les années 50. Très médiatisés, ils participent à la diffusion grand public du musette.

Paris Musette – Le renouveau
Projet lancé dans les années 1990 par Patrick Tandin, Franck Bergerot et Didier Roussin. Trois albums « Paris Musette » réunissent anciens et modernes. Ce projet a redonné une noblesse acoustique et vivante au musette traditionnel.

Sélection de vidéos

[Tony Muréna – Indifférence]

[Gus Viseur – Flambée Montalbanaise]

[Django Reinhardt – Minor Swing]

[Jo Privat et Matelot Ferret – Valse Des Niglos]

[Richard Galliano– La valse à Margaux]