Origine

Le chant de labours, ou « chant des champs », est une tradition musicale profondément enracinée dans les régions rurales du Nord-Ouest de la Tunisie, en particulier dans les zones montagneuses et les plaines fertiles du gouvernorat du Kef, de Siliana, et de Jendouba. Cette forme musicale est née d’une nécessité pratique et émotionnelle : accompagner le travail ardu des champs, synchroniser les efforts des travailleurs et égayer les longues journées de labeur.

Les origines du chant de labours remontent à plusieurs siècles, avec des influences qui peuvent être retracées jusqu’à l’époque des Berbères, les premiers habitants de la région. Les Berbères utilisaient la musique et le chant pour rythmer leurs travaux quotidiens, une tradition qui a perduré à travers les siècles malgré l’influence des différentes cultures qui ont traversé la Tunisie, notamment les Phéniciens, les Romains, les Arabes, et plus tard les Ottomans et les Français. Chaque culture a laissé son empreinte, enrichissant le patrimoine musical local de nouvelles sonorités et techniques vocales.

Historique

L’histoire du chant de labours est intimement liée à la vie agricole et pastorale du Nord-Ouest tunisien. Au XIXe siècle, ces chants étaient principalement interprétés lors des périodes de semis et de récolte, des moments cruciaux dans le calendrier agricole. Les chants servaient à coordonner les mouvements des travailleurs, en particulier lors des labours collectifs où la synchronisation était essentielle pour assurer une bonne productivité.

Pendant la période coloniale française, ces chants ont été un moyen pour les Tunisiens de préserver leur identité culturelle face à l’assimilation. Les chants de labours étaient souvent associés à des rituels, des célébrations communautaires, et des événements sociaux, comme les mariages et les fêtes de la récolte, où ils jouaient un rôle central.

Une figure marquante de cette tradition est Hedi Guella, un artiste du Kef, qui a consacré une grande partie de sa carrière à la préservation et à la promotion du chant de labours. Il a parcouru les villages pour enregistrer les anciens et leurs chants, sauvegardant ainsi un patrimoine menacé par la modernisation et l’exode rural. Grâce à ses efforts, de nombreuses chansons ont été préservées et continuent d’être chantées aujourd’hui.

Avec l’indépendance de la Tunisie en 1956, un regain d’intérêt pour les traditions culturelles locales a permis de redonner vie à cette musique. Aujourd’hui, bien que l’industrialisation ait réduit le besoin de travail manuel dans les champs, le chant de labours reste une expression vivante de la culture tunisienne, souvent revisitée lors de festivals et de manifestations culturelles.

Instruments

Le chant de labours est principalement vocal, mais il est parfois accompagné d’instruments traditionnels qui ajoutent une dimension rythmique et harmonique. Les instruments typiques incluent :

1. **Ney** : Une flûte en roseau qui produit un son doux et mélancolique, souvent utilisée pour accompagner les chants avec des mélodies simples et répétitives qui évoquent le vaste paysage rural.

2. **Bendir** : Un tambour sur cadre, recouvert d’une peau tendue, utilisé pour marquer le rythme. Le bendir est souvent joué par les femmes, et son battement régulier aide à synchroniser les mouvements des travailleurs.

3. **Zokra** : Une sorte de cornemuse traditionnelle qui produit un son puissant et énergique, souvent utilisé dans les célébrations et pour encourager les travailleurs lors des tâches ardues.

4. **Darbouka** : Un tambour en forme de gobelet qui produit des sons aigus et percutants, ajoutant une texture rythmique aux chants.

Structure Musicale

Les chants de labours sont généralement structurés autour de modes mélodiques simples, souvent pentatoniques, qui facilitent la mémorisation et l’exécution collective. Les mélodies sont répétitives, permettant aux chanteurs de se concentrer sur le travail tout en chantant. Les chants sont souvent responsoriaux, avec un soliste qui chante un verset suivi par une réponse chorale, créant une interaction dynamique entre les participants.

Harmoniquement, le chant de labours est principalement monophonique, mais l’ajout d’instruments peut introduire des harmonies basiques. Les rythmes sont réguliers, conçus pour correspondre aux mouvements physiques des travailleurs, tels que le balancement des faucilles ou le martèlement des houes.

Danses

Les danses associées au chant de labours sont souvent des danses communautaires, simples dans leur exécution, mais riches en symbolisme et en expression collective. Elles incluent généralement :

– **Danse en ligne** : Les participants se tiennent par la main ou l’épaule, formant une ligne ou un cercle. Les pas sont rythmés et synchronisés avec le chant, souvent consistant en des mouvements de balancement et de piétinement.

– **Pas de base** : Un pas de base commun est le « pas chassé », où un pied glisse vers l’avant ou l’arrière, suivi par l’autre pied qui le rejoint, créant un mouvement fluide et continu.

– **Chorégraphies de groupe** : Certaines danses incluent des figures plus complexes, comme des croisements ou des changements de direction, symbolisant l’unité et la coopération nécessaires dans le travail agricole.

Exemples de Danses

Les vidéos suivantes illustrent les danses traditionnelles associées au chant de labours :

Exemples musicaux

Voici quelques exemples de chants de labours, chacun illustrant un aspect différent de cette tradition musicale :

1. « Chant de la moisson » interprété par un groupe de villageois du Kef :

2. Une version moderne du chant de labours par l’artiste Hedi Guella :

***video à venir***

3. Enregistrement historique d’un groupe de femmes chantant lors de la récolte :

Artistes

Plusieurs artistes ont contribué à la préservation et à la diffusion du chant de labours en Tunisie :

1. **Hedi Guella** : Né au Kef, Hedi Guella est un artiste et chercheur qui a consacré sa vie à la collecte et à la promotion des chants traditionnels du Nord-Ouest de la Tunisie. Son travail a permis de préserver de nombreux chants de labours pour les générations futures.

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2. **Oulaya** : Une chanteuse tunisienne renommée pour son interprétation des musiques traditionnelles, y compris les chants de labours. Sa voix puissante et émotionnelle a touché de nombreux auditeurs.

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3. **Salah El Mahdi** : Un compositeur et musicologue qui a étudié les différentes formes de musique traditionnelle en Tunisie, dont les chants de labours.

4. **Zouheir Gouja** : Connu pour ses efforts de fusion entre les musiques traditionnelles et modernes, Zouheir Gouja a souvent intégré des éléments de chants de labours dans ses compositions.

5. **Fatma Boussaha** : Chanteuse populaire du Nord-Ouest, elle a interprété de nombreux chants de labours, capturant l’essence de la vie rurale tunisienne.

6. **Anouar Brahem** : Bien que principalement connu pour son travail en tant qu’oudiste, Anouar Brahem s’est inspiré des chants traditionnels dans certaines de ses compositions.

Ces artistes et bien d’autres continuent de faire vivre le chant de labours, chacun apportant sa propre interprétation et contribuant à l’évolution de cette tradition musicale unique.

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